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François HOUTART:

Le rôle de l’Europe en Irak

Le ministre belge des Affaires étrangères, Monsieur Louis Michel, a décidé de se rendre en Irak pour étudier le rôle que l’Europe pourrait jouer dans ce pays en proie aux affres de la guerre et qui est aussi un enjeu de taille pour les ressources pétrolières mondiales et un lieu géostratégique clé du Moyen orient.

Que l’Europe doive assumer ses responsabilités dans cette région du monde, personne ne le contestera. La question est de savoir comment et dans quelle perspective ? C’est précisément une des questions qui fut abordée lors de la session du Tribunal de Bruxelles (Brussels Tribunal, 14-17 avril 2004) sur la guerre en Irak et la politique étrangère des Etats Unis, en particulier le PNAC (Projet d’un nouveau siècle américain), dont la Déclaration de principes fut publiée en 1997 par un groupe néo-conservateur américain.

Faisant écho au Tribunal Russell de 1967 sur la guerre du Vietnam, l’initiative bruxelloise réunit une série de personnalités américaines, européennes et Iraqiennes, dont deux anciens secrétaires généraux adjoints des Nations unies ayant été en charge de l‘action humanitaire en Irak et plusieurs témoins directs de la situation actuelle dans ce pays.

Plusieurs constatations résultent des travaux du tribunal, qui peuvent éclairer la mission que s’est donnée Louis Michel.

1. Le programme du PNAC s‘articule autour de trois axes principaux : établir l’hégémonie des Etats Unis en s’appuyant surtout sur la suprématie militaire et technologique; empêcher l’émergence de puissances concurrentes  l’échelle universelle ou régionale et mener des actions préventives contre toute menace aux intérêts et  la sécurité des Etats Unis.

2. Un nombre significatif des signataires de la «Déclaration de Principes » du PNAC sont devenus des membres de premier plan de l’administration du président George W. Bush, dont Messieurs Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz. L’adoption des orientations de ce projet par le gouvernement américain ressort clairement de documents officiels de la Maison blanche (National Security Strategy, septembre 2002).

3. L’invasion de l’Irak a entraîné la mort de plus de 10 000 civils et le nombre de victimes croit chaque jour, de même que les violations manifestes des droits humanitaires et des droits de la personne : détentions arbitraires, mauvais traitements, privation de l’accès  des ressources fondamentales. La situation s’est clairement détériorée et les promesses de démocratie et de liberté se sont avérées illusoires.

4. De nombreux éléments font apparaître qu’il existe une stratégie d’ensemble des Etats Unis (notamment le document du PNAC Rebuilding America’s Defenses – Strategy, Forces and Resources for a New Century, de septembre 2000), en vue d’établir une domination globale par des moyens militaires, présentée comme la réalisation d’une « hégémonie bienveillante », mais qui semble plutôt déboucher sur un état de guerre permanent. Au Moyen Orient, l’occupation de l’Irak s’ajoute  l’alignement sur les vues du gouvernement israélien, ce qui avait été recommandé par le document du PNAC de 2002.

5. La présence américaine est perçue par la majorité de la population comme une occupation étrangère, ce qui a renforcé le sentiment national, permettant de croire que des élections et la formation d’un gouvernement national sont possibles,  condition que ce ne soit pas sous l’égide des occupants.

6. Toute implication des Nations unies ou de l’Europe qui ne signifierait pas le retrait des troupes américaines, n’aurait aucune légitimité en Droit international et serait perçue par la population Irakienne comme la prolongation d’un régime d’occupation qui justifierait aux yeux de beaucoup la poursuite d’une résistance, même violente.

 

A ces conditions, l’Europe peut jouer un rôle politique positif, pour restaurer la souveraineté du peuple irakien et éviter que ne s’aggrave l’hostilité entre les peuples de la région et ceux de l’Ouest, mais  ces conditions seulement, ce qui, entre autres, exclut toute intervention par le biais de l’OTAN.

 

François HOUTART

Président du Brussels Tribunal